Mode et Métavers, imaginer le futur du défilé

Coauteurs : Vanille Verloes et Gaspard Lézin

The Fabricant

Le défilé c’est la monstration ultime le pic d’adrénaline qui ponctue et parachève le moment de la création. C’est une performance de talents multiples coordonnée dans un but ultime : produire une expérience intense de quelques minutes pour remplir les yeux et les téléphones de tous.

Pourtant le défilé est aussi l’outil le plus visible et le plus bruyant du rythme soutenu de la marche de la mode. C’est un exercice presque imposé où il est de mise de sortir le grand jeu. Sortir le grand jeu c’est faire des pieds et des mains pour trouver un lieu, construire une scénographie, acheminer tout le matériel, faire venir toute la presse et les invités, faire manger toute l’équipe, etc. Le défilé est le maillon exubérant d’une industrie qui veut se transformer. Pourtant c’est aussi le maillon du travail des petites mains et de tous les métiers de l’ombre mit en lumière, le défilé c’est l’instant du sublime.

Les expériences récentes de défilés numériques nous montrent que la variance des solutions qui s’offrent à nous pour rendre compte du vêtement et de sa qualité dans un espace virtuel sont riches et sont en train de se généraliser. Le web 2.0 offre déjà depuis de nombreuses années la possibilité de digitalisation du défilé et de la présentation de collection en expérience riche. La surcouche de propriété du web 3.0 amènera sûrement de nouvelles interactions au sein de l’économie du vêtement.

Évidemment, il est impossible de remplacer l’expérience du défilé (combien ont-ils eu la chance d’y assister pour de vrai ? Bien placé ?). Peut-être nous faudrait-il imaginer de nouvelles formes à cet exercice, plus immersives, plus libres ?

Comme dans notre dernier article, nous répétons — ici accompagnés de Vanille Verloes, upcycling designer et styliste, ainsi que de Gaspard Lézin, expert des métavers et des NFT — l’exercice du design fiction et de l’écriture de scénarios pour nous projeter une fois de plus dans le futur d’une industrie dans le métavers.


Ces projets sont des scénarios fictifs et n'impliquent aucune marque ou entreprise réelles.

Ces projets sont des scénarios fictifs et n'impliquent aucune marque ou entreprise réelles. —


Scénario 1

Le défilé, une aventure à la grande journée

La dernière fois que je me suis rendu à un défilé, tout s'est passé si vite. Entre mon arrivée aux portes et la vue des premiers visages familiers jusqu’à la fin du show, il s’est écoulé un peu moins de 45 minutes. Les défilés sont en apnée, souvent tendus, orchestrés à la minute. Le flux des personnes qui s’installent se tarit vite et la musique — toujours très forte — tabasse et transporte les heureux présents.
Pour ne manquer aucune seconde et transmettre à mes abonnés l'événement, j’ai dû trouver des stratagèmes proches du sadomasochisme pour maintenir la stabilité de mon téléphone, sa batterie (et mon nombre de followers). Tout va si vite. Survivre aux défilés, c'est un art à part entière.

Dans ma boîte aux lettres il y a aujourd’hui un paquet mystère, je m’attends à trouver un Iphone au dos duquel me seront communiquées les informations du prochain show. Pas de cela, seulement une invitation sobrement marquée d’une adresse en “.eth” et titré The Long Journey Collection.

Le jour J, je suis prêt devant mon ordinateur, je rentre l’adresse donnée et je m’identifie grâce à mon wallet. Mon avatar est dans cet univers en ligne au milieu de milliers d’autres avatars. J’attends comme eux que le show commence, que la musique nous rabroue les oreilles et que les flashs nous arrachent les yeux. Mais rien.

“Alors tout cela pour ça ?” suis-je en train d’écrire dans le chat, plein d’amertume d’internet, quand d’un coup apparaissent sur la carte des objets au sol. Ce sont des sacs, la pièce iconique de la marque. Ils sont griffés du logo de cette dernière qui brille fort, comme des lingots d’or au milieu de tous les joueurs présents.
Chacun se hâte pour collecter un sac, il ne semble pas y en avoir pour tous. À l’intérieur, un loot (une récompense) nous attend. On retrouve un vêtement unique pour notre avatar. Il est spécifié que durant toute la durée du jeu, les joueurs ne pourront accéder à la suite des expériences qu’en portant ce vêtement unique. S’il est vendu vous perdrez l’accès aux expériences.

J’enfile donc ce wearable gracieusement offert. Aussitôt me voilà téléporté dans une nouvelle pièce, où se détachent flottant en l’air les consignes du jour. Il est écrit “ Suite de l’aventure demain à 10h23, salle des tissus, n’oubliez pas vos ciseaux". C’est fini pour aujourd’hui, rien ne se passera plus manifestement.

Le chat s’excite déjà et je vois sur mon téléphone posé à côté de mon ordinateur, les messages pleuvoir. Nous voilà tous là hagard de cette première expérience, tous vêtu des vêtements de la marque en un cortège de fans ayant scrupuleusement suivi le dress code. Nous si habitués aux explosions minutées, nous sommes perdus devant ce défilé qui se déroulera semble-t-il tout au long de la semaine.

La rumeur court que les personnes arrivant au bout de l’aventure se verraient remettre un accès pour le défilé réel de la marque, un golden ticket pour les plus tenaces. 

Ce scénario tire profit des possibilités de narration et de ludification qu'offrent les nouveaux espaces numériques du métavers. Non pas qu’ils soient nouveaux au point de dire qu’ils pourraient réinventer la pratique de l’aventure en ligne, ils réinventent l’expérience collective de celle-ci et les gains qui peuvent en être faits. Dans ce scénario nous avons voulu montrer la possibilité de ne pas rendre antagoniste l’expérience du défilé physique et celle de son double digital. Nous souhaitons plutôt montrer qu’il est possible par l’intermédiaire des outils de scénarisation du jeu de créer des annexes au défilé, des antichambres moins élitistes que le show final sans pour autant briser le mystère de la marque.

Auroboros — Métavers Fashion Week


Scénario 2

Une collection : mille défilés.

Ça y est, demain arrive le prochain module de la marque dans MODULO. J’ai hâte de voir comment le public va s'en emparer. L’an dernier nous avions généré plus de 100 000 défilés grâce à l’outil. C’est un peu comme avoir une sorte d’intelligence collective nous aidant à mettre en lumière le travail de nos équipes. Cela a pris tellement d’importance dans notre stratégie marketing que nous avons créé un département dédié à MODULO.

Pour vous expliquer ce qu’est MODULO il vous faut imaginer que c’est un peu comme donner les clefs de la réalisation de notre défilé aux spectateurs. On utilise une plateforme virtuelle — notre propre métavers — pour permettre aux usagers de mettre en scène la collection.
On leur donne tout ce dont ils ont besoin : autant des décors que de la musique. On crée des collections vastes qui étendent notre univers en tous points. On ajuste les vêtements sur tout un tas de mannequins que l’on fait marcher sur fond vert pour créer encore plus d’options. Puis… On laisse faire. Je veux dire par là que vraiment on ne fait plus rien. Souvent le premier défilé tombe dans l’heure, souvent plus vite.

Les réseaux sociaux tournés vers la vidéo se sont très vite emparés de la chose. Notre compte Tik-Tok n’est alimenté que de vidéos de défilé créées avec MODULO. Les clients les partagent sans cesse. En même temps, il faut dire qu’elles sont toutes uniques. Presque tout y est choisi par le client, ce qui amène à ne pas avoir deux vidéos similaires. 

Au final chacun vit son propre défilé, se l'approprie, l’imagine. Et puis lorsque nous parvenons enfin au défilé réel les clients se prennent au jeu et comparent ce qu’ils ont produit avec ce que nous faisons vraiment. Parfois je suis même surpris de voir à quel point certains comprennent la marque et s’en sont approprié les codes. Certains tombent vraiment très proches de ce que nous proposons le jour du défilé. 


Ce scénario qui imagine la discussion avec un membre de l’équipe marketing d’une maison de couture nous amène à imaginer le défilé sous l’angle des options multiples. Il s’appuie notamment sur le développement rapide des interfaces de conceptions orientées vers le public. La numérisation de tous les assets du défilé permet de composer à la demande son show et amène le spectateur à un nouveau rôle : la mode prend un tournant UGC.
Ici poussé à l’extrême, il ne faudra pas négliger néanmoins l’accaparation des assets de la marque par son public. C’est selon nous un des virages prochains du marketing de la mode.


Scénario 3

Le défilé sur pause. 

J’enfile le casque pour rejoindre le défilé. C’est la troisième fois que je le vois. À chaque fois que je le vois je découvre de nouvelles perspectives, de nouvelles informations. Je me connecte à INSIDER et je charge l’expérience.

Le défilé se passe dans une salle immense. Un peu partout et quadrillant l'espace sont placés des cylindres de verre, sorte de tube omniscient qui voient tout. Ce sont des caméras à 360° qui filment la scène en temps réel. Une fois le défilé terminé, elles permettent d’en proposer un jumeau virtuel en trois dimensions.

Je lance le défilé dans mon casque et je me positionne au premier rang, privilège de la VR. Au passage du troisième mannequin, je fais un arrêt sur image. Le détail d’une broderie m'interpelle. Je m’approche de cette dernière et grâce à INSIDER j’étends un panneau d’information. J’ai de la chance la maison de couture l’a parfaitement renseigné. D’images en vidéo je navigue dans la technique de la broderie et dans l’histoire des motifs de la maison. 

Depuis l'arrivée d'INSIDER, les équipes des maisons de couture se sont mises à rajouter tout un tas d’informations sur les collections et le défilé est devenu un point d'entrée majeur pour découvrir l’univers d’une maison. Cette plateforme, à la fois lui du spectacle devient aujourd’hui une archive des métiers de la mode. D’un défilé à l'autre, je découvre ici de la broderie et là, la  technique des plissés. L’enrichissement est sans fin. 

Ce scénario fait écho aux possibilités que nous offrent les technologies de la VR et de la captation en temps réel. Loin de venir briser le moment réel du défilé et de rompre la magie qui s'opère à ce moment-là, nous pouvons imaginer ses techniques supplémentaires pour soutenir la prise d’information. Évidemment l’accès à tous à un casque de réalité virtuelle n’est pas pour demain. En revanche, que des rédactions ou mêmes des écoles puissent se doter d’un tel appareil n’est pas à exclure. Nous voyons tout à fait des étudiants se documenter sur des archives de collection grâce à une plateforme comme INSIDER. 

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