Le concept de Média-Matrice, le futur de l’UGC ?
Le multiple est un objet récurrent dans l’histoire de l’art. On a d’abord cherché à reproduire à partir de modèle pour créer des copies. Statues, enluminures, sculptures et peintures ont suivi ce processus de reproduction.
Dans la recherche d’une facilité de propagation plus grande de biens culturels, des techniques ont été inventées pour, à partir d’un objet de base (matrice) produire en série une quantité importante de multiples (tirages). Une grande quantité de productions visuelles reposent sur ce principe : les ex-libris (tampon), les soies japonaises (estampage), la production de livres (imprimerie), le tirage photographique argentique (photogravure) et ainsi de suite.
Ces techniques de duplication d’un objet premier n’ont eu de cesse de se perfectionner cherchant toujours à augmenter un paramètre en particulier. Selon la pratique, on cherche à améliorer la précision de la copie (héliogravure : Matrice sur plaque de cuivre gravée aux acides), la vitesse d'exécution (imprimeries rotatives), la réduction des coûts (risographie).
Si dans le cas de l’art, le multiple par sa faible quantité devient rare, dans le cas du livre ou du tract, l’objectif premier est d’en obtenir le plus possible pour les diffuser les plus largement.
Cette logique de reproduction va entrer en résonance avec les objectifs des industries capitalistes cherchant à maximiser leur production (profits) tout en réduisant la quantité de travail nécessaire à sa réalisation. L’utilisation des matrices en toutes formes — moules, gabarits, contre-formes — va devenir récurrente dans de nombreuses industries et participer à l'avènement d’une économie de la standardisation.
Dans l’industrie de l’automobile, l’usage de modèles et la rationalisation des coûts ont entraîné la création d’une nouvelle échelle matricielle. Aujourd’hui, il n’est pas rare de retrouver des voitures composées à 80% de pièces identiques et différentes uniquement en extérieur. L’exemple du Renault Trafic est très parlant en ce sens. Cet utilitaire de la marque française possède en réalité quatre jumeaux au sein des marques Mitsubishi, Opel, Nissan et Fiat.
Les modèles diffèrent par leurs noms et leur aspect extérieur mais proviennent de la même matrice.
Ce glissement sémantique du mot matrice le rapproche plus de la définition suivante : base depuis laquelle peuvent être produits un ensemble d’objets se partagent un certain nombre de caractéristiques communes.
Il est alors possible (et facile) de regarder sous le prisme de cette nouvelle définition d’autres industries et notamment celle du divertissement.
Walt Disney, pionnier en la matière, a compris qu’il était possible depuis un même univers de créer une base universelle utile à la fabrication d’objets dérivés de la matrice principale. Depuis l'époque des dessins animés, il a su créer des parcs exploitant les codes visuels et les personnages qu’il mettait à l’écran.
Depuis lors, le cinéma et plus particulièrement Hollywood ne cessent d’exploiter ce modèle financier. La dernière licence en date à connaître un essorage de sa propriété intellectuelle (IP) est StarWars. Après le rachat par Disney (on ne change pas une équipe qui gagne) elle se voit totalement exploitée en divers objets allant du flot ininterrompu de préquels et mini-séries aux quantités toujours plus grandes d’objets dérivés.
Le plus spectaculaire dans tout cela est de mettre en regard les bénéfices générés par les exploitations diverses d’une matrice culturelle relativement réduite : des écrits, et une base de 6 films.
Malgré l’aisance des sociétés détentrices de ses IP à reproduire sur différents supports leurs objets culturels (skins, avatars, séries, jeux vidéo, etc.) il leur faut à chaque nouvel usage mettre en marche une nouvelle séance de production. Créer un nouveau plateau, modéliser en 3d des personnages ou des cartes est autant d'actions répétées pour arriver à la mise à disposition d’un contenu au public.
Aujourd’hui seule la musique bénéficie d’un passe-droit qui lui permet de se glisser de plateforme en plateforme. Elle passe du film, au jeu vidéo, à la série, aux jouets, aux lieux sans encombres. Cette facilité à opérer au sein d’écosystèmes techniques variés — interopérabilité — vient de la relative unicité des formats audio. Hormis quelques exceptions comme le ALAC, le format lossless d’Apple et d’autres formats propriétaires, les fichiers audio sont facilement diffusables et exploitables.
Si le numérique permet à la musique de naviguer avec fluidité, il n'en est pas de même pour d’autres objets comme les fichiers 3d ou encore les assets exploitables dans les jeux (skins, armes, etc.). Cette qualité interopérable des données est pourtant un des objectifs à long terme que se sont fixés les leaders du domaine Meta en tête. Dernièrement nous avons eu la chance de publier dans Stratégie une tribune concernant la création du Metavers Standart Forum, remettant en cause cette construction hégémonique d’un métavers au profit des grands groupes (bien que cela ne soit pas tout à fait éloigné de l'état actuel d’internet).
Malgré cela il faut bien reconnaître que derrière des intérêts financiers non dissimulés se cachent des avancées technologiques qui peuvent en effet profiter au reste de l’industrie. L’un des cas les plus intéressants est Epic Games, qui par une stratégie de rachat bien rodée prépare la matrice qui va lui servir à créer un écosystème dédié au divertissement très complet et centré sur l’image de synthèse. Dans un article paru il y a déjà quelques années Matthew Ball exprime déjà combien la transversalité de l'entreprise semble être en avance sur son temps.
Plus récemment, un article paru dans Rew3 dresse la liste des acquisitions faites par l’entreprise. Parmi toutes les acquisitions de l’entreprise, beaucoup concernent la production d'images et d’environnements 3d. On peut facilement voir ici l’intention d’Epic Games de créer une matrice propice à l’exploitation de ses assets dans un écosystème complet. La possibilité de créer des avatars avec MetaHuman qui seront par la suite intégrés dans des scènes 3d avec Unreal Engine, et qui peut-être iront dans un film ou un jeu vidéo reste entière.
Ce nouveau paradigme dans la production de contenus ayant une facilité déconcertante à passer d'un environnement à un autre sans être altérés ouvre la voie au concept de Média-Matrice.
Au sein de bem.builders nous sommes convaincus que bientôt il n’y aura plus de frontières entre cinéma et jeu vidéo, entre productions animées et multivers. Bientôt un ensemble d’assets pourra être exploité transversalement avec des destinations différentes.
Le cas le plus frappant est The Mandalorian. La série distribuée sur la plateforme Disney + utilise la technologie Unreal Engine pour créer des décors qui sont par la suite diffusés sur des écrans puis filmés. Dans ces décors, outre la topographie, il y a aussi des personnages, des véhicules et toutes autres assets modélisés au sein d’Unreal Engine.
Comment ne pas imaginer alors que depuis cette matrice nous ne puissions pas dériver vers d'autres médias ? Demain nous pourrons jouer sur la carte ayant servi au tournage dans Fortnite et s’habiller directement des skins modélisés pour la série 3d.
Si on pousse le bouchon un peu plus loin et que l’on place certains assets sous la licence libre, on pourrait très bien voir émerger toute une production de fanfictions et d’UGC totalement inspirés des IP les plus populaires et cela avec un niveau de détails colossal.
Le Média-Matrice est le futur du travail des IP à grande échelle et peut-être une des voies les plus intéressantes lorsqu’il s’agit d’imaginer comment le public peut se réapproprier un contenu multimédia. Aujourd’hui l’UGC est le fer de lance de plateformes ne nécessitant que peu de ressources graphiques : Roblox, Minecraft. J’aime à croire que par son ouverture (pour combien de temps encore ?) l'écosystème d'Epic Games permettra à de nombreuses personnes d’amener de l’UGC dans des domaines encore peu explorés.
🇬🇧 English version below :
The multiple is a recurrent object in the history of art. The first effort was to reproduce from a model to create copies. Statues, illuminations, sculptures and paintings followed this process of reproduction.
In the search for greater ease of propagation of cultural goods, techniques were invented to use a basic object (matrix) to produce large numbers of multiples (prints) in series. A large number of visual productions are based on this principle: bookplates (stamping), Japanese silks (stamping), book production (printing), silver photographic prints (photogravure) and so on.
These techniques for duplicating a primary object have been constantly improved, always seeking to increase a particular parameter. Depending on the practice, the aim is to improve the precision of the copy (rotogravure: matrix on an acid-etched copper plate), the speed of execution (rotary printers), the reduction of costs (risography).
If in the case of art, the multiple by its small quantity becomes rare, in the case of the book or the leaflet, the first objective is to obtain as many as possible to distribute them as widely as possible.
This logic of reproduction will resonate with the objectives of capitalist industries seeking to maximise their production (profits) while reducing the amount of labour required to produce it. The use of dies in all forms - moulds, templates, counter-forms - was to become recurrent in many industries and participate in the advent of an economy of standardisation.
In the automotive industry, the use of templates and cost rationalisation led to the creation of a new matrix scale. Today, it is not uncommon to find cars that are 80% identical and 80% different only on the outside. The example of the Renault Trafic is very telling in this respect. This French utility vehicle actually has four twins within the Mitsubishi, Opel, Nissan and Fiat brands.
The models differ in name and exterior appearance but come from the same matrix.
This semantic shift in the word matrix brings it closer to the following definition: a base from which a set of objects can be produced that share a number of common characteristics.
It is then possible (and easy) to look at other industries, notably the entertainment industry, through the prism of this new definition.
Walt Disney, a pioneer in this field, understood that it was possible to create a universal base from the same universe, useful for the manufacture of objects derived from the main matrix. Since the time of the cartoons, he has been able to create parks using the visual codes and characters he put on the screen.
Since then, the film industry, and Hollywood in particular, has continued to exploit this financial model. The latest licence to have its intellectual property (IP) wrung out is StarWars. After Disney bought it out (you don't change a winning team) it has been fully exploited in a variety of ways, from the endless stream of prequels and mini-series to the ever-increasing quantities of spin-off items.
The most spectacular thing about all this is to compare the profits generated by the various exploitations of a relatively small cultural matrix: writings, and a base of 6 films.
Despite the ease with which the companies that own these IPs can reproduce their cultural objects (skins, avatars, series, video games, etc.) on different media, they have to start a new production session for each new use. Creating a new board, modelling characters or cards in 3D are all repeated actions to make content available to the public.
Today, only music benefits from a pass that allows it to slip from platform to platform. It moves seamlessly from film to video game to series to toys to places. This ease of operating within varied technical ecosystems - interoperability - comes from the relative uniqueness of audio formats. With a few exceptions such as ALAC, Apple's lossless format and other proprietary formats, audio files are easily distributed and exploited.
While digital technology allows music to flow smoothly, the same cannot be said for other objects such as 3D files or assets used in games (skins, weapons, etc.). This interoperable quality of data is one of the long-term objectives that the leaders in the field, Meta in particular, have set themselves. Recently we had the chance to publish an article in Stratégie about the creation of the Metavers Standart Forum, questioning this hegemonic construction of a metaverse for the benefit of the big groups (although this is not entirely far from the current state of the internet).
Despite this, it must be recognised that behind unconcealed financial interests lie technological advances that can indeed benefit the rest of the industry. One of the most interesting cases is Epic Games, which, through a well-honed acquisition strategy, is preparing the matrix that will be used to create a very complete entertainment ecosystem centred on computer graphics. In an article published a few years ago, Matthew Ball already expressed how the company's transversality seems to be ahead of its time.
More recently, an article in Rew3 lists the company's acquisitions. Of all the company's acquisitions, many are in the production of 3D images and environments. It's easy to see Epic Games' intention here to create a matrix for the exploitation of its assets in a complete ecosystem. The possibility of creating avatars with MetaHuman that will later be integrated into 3d scenes with Unreal Engine, and perhaps go into a movie or video game, remains.
This new paradigm in the production of content with a disconcerting ease to move from one environment to another without being altered opens the way to the concept of Media-Matrix.
At bem.builders we are convinced that soon there will be no more boundaries between cinema and video games, between animated productions and multiverses. Soon a set of assets will be able to be exploited transversally with different destinations.
The most striking case is The Mandalorian. The series distributed on the Disney + platform uses Unreal Engine technology to create sets that are then displayed on screens and filmed. In these settings, in addition to the topography, there are also characters, vehicles and all other assets modelled within the Unreal Engine.
How can we not imagine that from this matrix we cannot drift towards other media? Tomorrow we will be able to play on the map used to shoot Fortnite and dress directly in skins modelled for the 3d series.
If we push the envelope a little further and place certain assets under the free license, we could very well see the emergence of a whole production of fanfiction and UGC totally inspired by the most popular IPs and with a colossal level of detail.
The Media-Matrix is the future of IP work on a large scale and perhaps one of the most interesting ways to imagine how the public can reappropriate multimedia content. Today UGC is spearheaded by platforms that require few graphic resources: Roblox, Minecraft. I like to think that the openness of the Epic Games ecosystem (for how much longer?) will allow many people to bring UGC into areas that are still not very well explored.